- fanfouetChevesne en ruisseau
Attraper un poisson
Ven 4 Jan 2013 - 22:31
Salut,
Voici un petit texte écrit hier... Meilleurs voeux halieutiques à tous
On est tout cons, avec notre beau poisson luisant qui se débat dans l’épuisette.
On a déployé tant d’efforts, noué au bout de nos bas de ligne nos plus
belles mouches, savamment pensées l’hiver dernier, amoureusement montées
au coin du feu. On a fait des kilomètres, on s’est levé tôt, on s’est
coincé le pied dans un trou de rat, on a glissé, essuyé nos lunettes
pleines de buée, acheté un nouvel accessoire, parce qu’on en a jamais
assez. On a conduit la nuit, monté sa canne dans la rosée du matin, bu
un café dégueulasse et délicieux. On a pris chaud, ou froid, on a mal au
crâne à cause des verres polarisants qui bonifient artificiellement nos
yeux avides de voir ces êtres difformes et visqueux onduler dans l’eau
fraîche. Quand on y pense, quand même, tout ça pour ça. Pour ce bête
poisson qui lutte, mais qui va, on le sait, repartir voir ses copains
sans être traumatisé plus que ça…
On est tellement heureux de prendre un poisson. Mais attention, un vrai
poisson, un sauvage, un dur, un farouche. Un poisson qui a déjoué les
pièges du monde animal réel et sans pitié dans lequel il évolue. Pas
dans les ondes cotonneuses d’un réservoir propret plein d’obèses
insipides et sans caractère, mais dans le courant froid d’une rivière
qui court, qui dévale, qui gonfle. Un monde dans lequel la peur et
l’instinct de survie prédominent sur tous les autres. Un environnement
dans lequel il n’est jamais en sécurité, dans lequel un prédateur bleu,
vert, noir ou avec un chapeau, venant aussi bien des airs que des
herbiers, peut à tout moment lui ôter l’existence juste pour subvenir à
la sienne (ce qui est faux pour le porteur de chapeau…). On joue avec la
Vie, à la pêche. On piège le sauvage, on traque, on piste, on flaire,
on renifle, on sent, on ressent, on hume. C’est un peu con, dans notre
société moderne ou il suffit d’ouvrir le robinet du barrage pour avoir
tous les poissons qu’on veut, d’avoir ce sentiment de plénitude,
d’accomplissement, d’humble suprématie, quand on a attrapé un poisson…
Tout du long qu’on est pas à la pêche, quand on est au travail, ou en
voiture, ou en réunion, on ne pense pas tant au but ultime qu’aux moyens
d’y arriver. Je connais des personnes qui ne peuvent s’empêcher de
mimer un lancer de mouche dans des endroits les plus incongrus, à
l’église ou dans un couloir de bureau. Il y a des types qui divorcent,
d’autres qui vivent chichement, d’autres encore qui se privent
volontairement ou non de biens materiels ou de liens sociaux s’ils n’ont
pas de rapport avec la pêche à la mouche, grâce ou à cause d’elle. Ça
rend pas forcément heureux mais c’est comme ça.
Attraper un poisson, c’est con. Y’a qu’a
voir la tête de ceux qui nous disent en levant les sourcils: "Ah bon tu
fais de la pêche ? ". Genre "t’es con ou quoi la pêche c’est nul", c’est
décevant… (Je ne "fais" pas de la pêche, je pêche à la mouche, sombre
cancre…)
Donc effectivement, moi je me trouve parfois bien idiot avec mon poisson
dans l’épuisette. Le pauvre n’avait rien demandé à personne et s’il
était doué de conscience, il hallucinerait beaucoup plus que l’autre
d’avant avec ses grands sourcils, qu’on puisse déployer tant d’effort
juste pour le persécuter, l’embêter, le perforer avec un bout de fer
pour notre seul bon plaisir. Dans un autre sens, remarques, il serait
peut-être content qu’on s’intéresse à lui, à ses moeurs, à son peuple et
à son environnement.
Mais attraper un poisson, c’est le
meilleur des p’tis plaisirs gratuits, comme le chantait l’excellent
Ricet Barrier. C’est un peu comme pisser dans la neige, réussir un
carreau aux boules ou gagner le concours d’avion en papier. Sauf que ça
nous tiraille tellement que c’en devient parfois flippant, presque trop,
mais on ne peut s’empêcher d’y penser.
Que serait la pêche si la finalité n’était que d’attraper un poisson ?
Mais que serait la pêche sans ce sentiment tout bête d’avoir réussi… ?
---------------------
D'autres élucubrations stagnent dans les tréfonds de mon blog pour ceux qui ont apprécié...
Fanf'
Voici un petit texte écrit hier... Meilleurs voeux halieutiques à tous
On est tout cons, avec notre beau poisson luisant qui se débat dans l’épuisette.
On a déployé tant d’efforts, noué au bout de nos bas de ligne nos plus
belles mouches, savamment pensées l’hiver dernier, amoureusement montées
au coin du feu. On a fait des kilomètres, on s’est levé tôt, on s’est
coincé le pied dans un trou de rat, on a glissé, essuyé nos lunettes
pleines de buée, acheté un nouvel accessoire, parce qu’on en a jamais
assez. On a conduit la nuit, monté sa canne dans la rosée du matin, bu
un café dégueulasse et délicieux. On a pris chaud, ou froid, on a mal au
crâne à cause des verres polarisants qui bonifient artificiellement nos
yeux avides de voir ces êtres difformes et visqueux onduler dans l’eau
fraîche. Quand on y pense, quand même, tout ça pour ça. Pour ce bête
poisson qui lutte, mais qui va, on le sait, repartir voir ses copains
sans être traumatisé plus que ça…
On est tellement heureux de prendre un poisson. Mais attention, un vrai
poisson, un sauvage, un dur, un farouche. Un poisson qui a déjoué les
pièges du monde animal réel et sans pitié dans lequel il évolue. Pas
dans les ondes cotonneuses d’un réservoir propret plein d’obèses
insipides et sans caractère, mais dans le courant froid d’une rivière
qui court, qui dévale, qui gonfle. Un monde dans lequel la peur et
l’instinct de survie prédominent sur tous les autres. Un environnement
dans lequel il n’est jamais en sécurité, dans lequel un prédateur bleu,
vert, noir ou avec un chapeau, venant aussi bien des airs que des
herbiers, peut à tout moment lui ôter l’existence juste pour subvenir à
la sienne (ce qui est faux pour le porteur de chapeau…). On joue avec la
Vie, à la pêche. On piège le sauvage, on traque, on piste, on flaire,
on renifle, on sent, on ressent, on hume. C’est un peu con, dans notre
société moderne ou il suffit d’ouvrir le robinet du barrage pour avoir
tous les poissons qu’on veut, d’avoir ce sentiment de plénitude,
d’accomplissement, d’humble suprématie, quand on a attrapé un poisson…
Tout du long qu’on est pas à la pêche, quand on est au travail, ou en
voiture, ou en réunion, on ne pense pas tant au but ultime qu’aux moyens
d’y arriver. Je connais des personnes qui ne peuvent s’empêcher de
mimer un lancer de mouche dans des endroits les plus incongrus, à
l’église ou dans un couloir de bureau. Il y a des types qui divorcent,
d’autres qui vivent chichement, d’autres encore qui se privent
volontairement ou non de biens materiels ou de liens sociaux s’ils n’ont
pas de rapport avec la pêche à la mouche, grâce ou à cause d’elle. Ça
rend pas forcément heureux mais c’est comme ça.
Attraper un poisson, c’est con. Y’a qu’a
voir la tête de ceux qui nous disent en levant les sourcils: "Ah bon tu
fais de la pêche ? ". Genre "t’es con ou quoi la pêche c’est nul", c’est
décevant… (Je ne "fais" pas de la pêche, je pêche à la mouche, sombre
cancre…)
Donc effectivement, moi je me trouve parfois bien idiot avec mon poisson
dans l’épuisette. Le pauvre n’avait rien demandé à personne et s’il
était doué de conscience, il hallucinerait beaucoup plus que l’autre
d’avant avec ses grands sourcils, qu’on puisse déployer tant d’effort
juste pour le persécuter, l’embêter, le perforer avec un bout de fer
pour notre seul bon plaisir. Dans un autre sens, remarques, il serait
peut-être content qu’on s’intéresse à lui, à ses moeurs, à son peuple et
à son environnement.
Mais attraper un poisson, c’est le
meilleur des p’tis plaisirs gratuits, comme le chantait l’excellent
Ricet Barrier. C’est un peu comme pisser dans la neige, réussir un
carreau aux boules ou gagner le concours d’avion en papier. Sauf que ça
nous tiraille tellement que c’en devient parfois flippant, presque trop,
mais on ne peut s’empêcher d’y penser.
Que serait la pêche si la finalité n’était que d’attraper un poisson ?
Mais que serait la pêche sans ce sentiment tout bête d’avoir réussi… ?
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D'autres élucubrations stagnent dans les tréfonds de mon blog pour ceux qui ont apprécié...
Fanf'
- babaSilure en rivière
Re: Attraper un poisson
Dim 6 Jan 2013 - 9:48
je trouve ton texte très bien dit, un texte vrai avec une pointe d'humour... bravo
ces vrai que les personne qui ne pêche pas, mes potes du lycée par exemple me prenne pour un fou, il ne comprenne pas
la pêche sans réussite, ses souvent le cas ... mais quand ce poisson tant rechercher est la, devant nous, sortie de l'eau après des jours, des heures de pêche. tous est oublier est nous somme heureux
vive la pêche
a+ baba.
ces vrai que les personne qui ne pêche pas, mes potes du lycée par exemple me prenne pour un fou, il ne comprenne pas
la pêche sans réussite, ses souvent le cas ... mais quand ce poisson tant rechercher est la, devant nous, sortie de l'eau après des jours, des heures de pêche. tous est oublier est nous somme heureux
vive la pêche
a+ baba.
- garyjul54Perche en canal
Re: Attraper un poisson
Mar 8 Jan 2013 - 10:28
Tres beau texte bravo!je trouve qu'il ne résume pas seulement la pêche a la mouche, mais la passion de la pêche en générale . Vite d'autres !!!
- fanfouetChevesne en ruisseau
Re: Attraper un poisson
Dim 20 Jan 2013 - 19:34
Merci à vous. Encore quelques lignes pour ceux daignent apprécier :
Visions
Visions
Il est des poissons que l’on n’oublie pas. La vision de leur
gueule béante apparaît parfois au feu rouge où en pleine réunion.
L’ondulation de leurs longs corps massifs surgit soudain à l’apéro chez
Grand Ma ou à la file d’attente du supermarché. Ils hantent nos nuits
ou nos moments de rêve, lorsqu’on décroche de notre quotidien normal
de français moyen. Incontrôlables, ces visions vont et viennent à notre
esprit avec une redondance que l’hiver attise. On revoit cette lumière
particulière que le souvenir embelli, les feuilles qui bruissent dans
l’air tiède d’un mois de Mai parfumé, la rivière claire et le poste de
pêche pas toujours idéal où l’on a découvert ce gros poisson.
Il est des poissons que l’on n’oublie pas. Et ceux-ci sont souvent
énormes. J’ai en mémoire cette truite de l’Ain à Champagnole qui,
surgie de nulle part, à fait fuir à toutes nageoires un poisson déjà
gros pour mon référentiel de débutant parce qu’il était sur son
territoire. Les adjectifs ou les métaphores sont alors bien meilleures
pour le récit que les chiffres froids et bruts dans les estimations
qu’on peut faire de la bête. Mais invariablement on dit aux copains
qu’« elle faisait au moins cinquante ! » même parfois plus.
J’ai souvent à l’esprit ce moment où, seul sur une petite rivière de
plaine en plein midi, je découvrais un poisson énorme en train de
remonter vers moi en gobant des mouches de Mai. La truite n’était plus
qu’à trois longueurs de canne lorsque je ramenais mon émergente à
grands coups de strips pour relancer parce qu’elle était déjà trop
loin. Juste avant d’arracher, j’effectuais un dernier strip, assez long
en accélérant sur la fin. La mouche a dépassée la truite sur sa gauche
en laissant une petite traînée de bulles. J’ai stoppé ma récupération,
la mouche s’est immobilisée un mètre en amont de la truite, j’étais
prêt à arracher quand j’ai vu, je le jure, son œil s’allumer et sa
grande caudale onduler pour s’approcher en basculant de mon émergente
de mouche de Mai. Ce poisson de la longueur de mon avant bras en
comptant la main tendue était en train de gober ma mouche devant mes
yeux ahuris. Aujourd’hui, le verglas gangue les chaussées et la neige
recouvre les abris-bus, et je repense à ce moment féerique. Raconter
comment ce poisson s’est décroché, exprimer le désarroi qui m’a
paralysé ou parler de mon cri qui ricoche dans la forêt n’est plus à
propos.
Il est des poissons que l’on n’oublie pas. Et c’est souvent ceux que l’on n’a jamais pris.
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